Le hadith suivant, rapporté par Hudhayfah رضي الله عنه, est souvent discuté et analysé en raison de son contenu complexe et de ses implications sur l’obéissance au gouverneur. Ce hadith met en avant une obéissance inconditionnelle à l’émir, même dans des situations difficiles.
Cependant, l’authenticité et l’interprétation de ce hadith sont débattues parmi les érudits islamiques. Cet article examine ce hadith en profondeur, en se basant sur les commentaires de différents érudits et les chaînes de transmission.
Le hadith en question
Hudhayfah رضي الله عنه rapporte que le Prophète صلى الله عليه و سلم a dit :
« Viendront après moi des imams qui ne se conformeront pas à ma voie, n’adopteront pas ma Sunna, et il y aura parmi eux des hommes ayant des cœurs de démons mais une apparence humaine. » Je dis : « Que dois-je faire si je les vois ? » Il dit : « Écoute et obéis à l’Émir, même s’il frappe ton dos et prend tes biens, écoute et obéis. » [Muslim 4891]
Analyse des chaînes de transmission
Al Imam Al Daraqoutnî
Al Imam Al Daraqoutnî, dans son ouvrage « Al Ilzamâte Wal Tatabou3 », commente ce hadith en soulignant une possible rupture dans la chaîne de transmission. Il écrit :
وأخرج مسلم حديث معاوية بن سلام ، عن زيد ، عن أبي سلام ، قال : قال حذيفة : كنا بشر ، فجاءنا الله بخير. وهذا عندي مرسل ، أبو سلام لم يسمع من حذيفة ، ولا من نظرائه الذين نزلوا العراق ، لأن حذيفة توفي بعد قتل عثمان ، رضي الله عنه ، بليال ، وقد قال فيه : قال حذيفة ، فهذا يدل على إرساله
« L’imam Mouslim a rapporté le récit de Mou3âwiyah Ibn Salâm, ‘An Zayd ‘An Abî Salâm il dit : Houdayfah dit : ˮNous étions en compagnie de personnes maléfiques alors Allah nous a envoyé Ses bienfaitsˮ.
Pour moi, ce récit est Moursal car Abou Salâm n’a pas entendu de Houdayfah ni de ses semblables qui ont parcouru l’Irak car Houdayfah est mort quelque nuit après la mort de Outhmân, alors qu’il dit : Houdayfah a dit, cela prouve que c’est un Moursal.»
Al Mouzî et Ibn Hajar
Al Mouzî, dans la biographie d’Abî Salâm, affirme également que ce récit est considéré comme Moursal :
روى عن حذيفة و يقال مرسل
« Il a rapporté de Houdayfah et il est dit de lui que c’est un Moursal.»
Ibn Hajar confirme cette position en déclarant :
أرسل عن حذيفة وأبي ذر وغيرهما
« Il a été Moursal de Houdayfah, d’Abou Dhar et d’autres. »
Mouqbil Al Wâdi3î
Mouqbil Al Wâdi3î, dans son Char7 d’Al Ilzamâte d’Al Daraqoutnî, souligne une partie spécifique de ce hadith comme étant faible :
وفي حديث حذيفة هذا زيادة ليست في حديث حذيفة المتفق عليه ، وهي قوله : ( وإن ضرب ظهرك وأخذ مالك )! فهذه الزيادة ضعيفة ؛ لأنها من هذه الطريق المنقطعة
« Et dans le récit de Houdayfah, un ajout qui n’est pas présent dans le récit de Houdayfah sur lequel il y a eu approbation, et c’est sa parole ((même s’il frappe ton dos et prend tes biens, écoute et obéis)). Cet ajout est faible car elle fait partie de ce chemin Mounqatî3 (chaîne de transmission avec rupture de narrateur).»
L’Opinion d’Al Nawawî
L’Imâm Al Nawawî, dans son commentaire de Sahih Muslim, offre une perspective différente :
قوله ( عن أبي سلام قال : قال حذيفة بن اليمان ) قال الدارقطني : هذا عندي مرسل ؛ لأن أبا سلام لم يسمع حذيفة ، وهو كما قال الدارقطني ، لكن المتن صحيح متصل بالطريق الأول ،
« Sa parole : ((‘An Abî Salâm il dit : Houfayfah dit, Al Daraqoutnî dit : Pour moi ce récit est Moursal car Abou Salâm n’a pas entendu de Houdayfah)) est correcte, comme l’a dit Daraqoutnî, mais le texte (Matn) est authentique et complet avec le soutien de la première chaîne de transmission.»
Al Nawawî se réfère à un autre récit pour soutenir cette opinion :
حدثني محمد بن المثنى حدثنا الوليد بن مسلم حدثنا عبد الرحمن بن يزيد بن جابر حدثني بسر بن عبيد الله الحضرمي أنه سمع أبا إدريس الخولاني يقول سمعت حذيفة بن اليمان يقولا
Hudhayfa ibn Al-Yamân (qu’Allah soit satisfait de lui) a dit : Tandis que tout le monde interrogeait l’Envoyé d’Allah (paix et bénédiction d’Allah sur lui) sur le bien, moi, je l’interrogeais sur le mal par crainte d’en être atteint. – « O Envoyé d’Allah, lui dis-je, nous étions dans l’ignorance et dans le mal; quand Allah nous a envoyés ce bien (c.-à-d. l’islam). Est-ce que, après ce bien, le mal viendra-t-il de nouveau? ». – « Oui », répondit-il. – « Et, repris-je, après ce mal, y aura-t-il du bien? ». – « Oui, mais il ne sera jamais pur ». – « Qui le troublera? ». – « Des gens qui suivront une autre Sunna que la mienne et qui guideront vers une autre voie que ma bonne voie et dont tantôt vous approuverez les actes, tantôt vous les désapprouverez ». – « Et après ce bien, y aura-t-il encore de mal? ». – « Oui, il y aura des hérauts aux portes de l’Enfer, qui appelleront à eux les gens et qui précipiteront dans l’Enfer ceux qui répondront à leur appel ». – « O Envoyé d’Allah, lui dis-je, décris-nous ces hérauts ». – « Ils seront de notre race et ils parleront notre langue ». – « Que m’ordonnes-tu de faire si j’assiste à cela? ». – « Tu devras suivre la communauté des musulmans et leur leader ». – « Mais si (alors) les musulmans n’ont ni communauté, ni leader? ». – « Écarte-toi de toutes ces sectes, devrais-tu pour cela ne manger que les racines d’un arbre et rester ainsi jusqu’à ce que la mort t’advienne ».
Conclusion
En conclusion, bien que le hadith « Écoute et obéis à l’émir, même s’il frappe ton dos et prend tes biens, écoute et obéis » soit rapporté par plusieurs chaînes de transmission, sa validité et son interprétation sont débattues.
Certains érudits, comme Al Daraqoutnî et Mouqbil Al Wâdi3î, considèrent que des parties spécifiques du hadith sont faibles en raison de ruptures dans les chaînes de transmission. D’autres, comme Al Nawawî, soutiennent que le texte est authentique lorsqu’il est soutenu par d’autres récits.
Cependant, il est essentiel de comprendre que l’obéissance au gouverneur, même si le hadith est authentique, est conditionnée par la mise en place de la Charia islamique, comme le montrent d’autres récits. L’obéissance n’est donc pas aveugle, mais dépend de la conformité du gouverneur avec les principes islamiques.